
Lise Muscat
9 mars 2022
Il se leva pour admirer les lumières de la ville par la fenêtre. C’était si beau, si calme.
Bientôt, tout allait s’embraser. Il aurait tant aimé avoir la force de briser ses propres chaînes et d’être celui qu’il était vraiment.
Un homme qui aimait la justice, la vérité, la liberté… et les hommes.
EXTRAIT
Keanu s’avança. Il déposa son verre et posa sa main sur l’épaule de Liam. Ce dernier recula instinctivement comme si ce contact le brûlait.
Il n’avait jamais réagi ainsi avec Aidan car il n’avait pas peur de son amour. Aidan aimait les femmes et il y en avait beaucoup dans sa vie. Keanu, lui, était dangereux car il lui rendait son affection et le mettait face à une vérité qu’il refusait avec violence.
— Ne me demande pas ce que je propose, Monsieur Darcy[1], tu n’en veux pas, lui dit-il avec un clin d’œil.
Liam sourit malgré sa peur et le fait qu’il ne comprenait pas le nom qu’il lui avait donné. Mais il avait pris l’habitude des traits d’esprit de Keanu et de sa façon de parler. Il savait qu’il faisait référence à un personnage de la culture de l’Ancien Monde dont il n’avait jamais entendu parler. Malgré son appréhension à le laisser prendre plus de place dans sa vie, il décida de jouer son jeu car il aimait l’écouter parler.
— Tu vas me dire qui est ce Monsieur Darcy ou je dois le deviner ? interrogea Liam sérieux.
Keanu retira la main qu’il avait posée sur l’épaule de Liam.
— Quelqu’un qui refusait d’accepter ses sentiments par orgueil, souffla-t-il en s’approchant de Liam pour que ses mots caressent son oreille.
— Je ne suis pas orgueilleux, répondit Liam sans bouger.
— Non mais tu es entêté et mauvais joueur…
— Mauvais joueur ?
Liam recula devant l’intensité du regard de Keanu, qui le retint par le bras.
— Tu n’acceptes pas les règles du jeu entre nous.
Liam se dégagea, nerveux.
— Il n’y a pas de nous Keanu ! Il n’y a que notre lutte et nos espoirs.
Keanu baissa les yeux, blessé.
— Tu as peur de ce que tu ne connais pas Liam, c’est ce qui te rend aveugle à ce qui existe entre toi et moi.
Liam se prit la tête entre les mains.
— Rien ne peut exister entre toi et moi, souffla-t-il avec beaucoup de souffrance, c’est impossible…
Keanu n’osa pas s’approcher à nouveau. Il avait peur de brusquer Liam, de le pousser dans des retranchements desquels il ne sortirait plus jamais.
— C’est ce qu’on t’a fait croire Liam. Rien n’est impossible… Il suffit d’aimer.
Liam baissa les yeux. Il ne voulait plus lire la foi qui brillait dans ceux de Keanu.
— Pas pour nous Keanu…
Liam s’assit. L’espoir était insupportable.
Keanu s’accroupit devant lui afin de croiser son regard.
— Si Liam, insista-t-il, pour nous comme pour tous les autres c’est possible. Il n’existe pas qu’une seule sorte d’amour, une seule façon d’aimer, c’est faux ! Aimer c’est suffisant, je te le jure. Le choix n’appartient qu’à toi. Ce sont ceux qui affirment le contraire qui sont des malades.
Liam se sentait perdu, déchiré. Il souffrait affreusement de la lutte qu’il menait intérieurement entre ses sentiments et sa conscience.
Il pensait à Aidan pour qui il avait ressenti pour la première fois de l’amour. Avec lui, c’était simple, car il n’y avait pas de réciprocité. Ce sentiment était encore vivant en lui, mais il n’était plus le même. Keanu avait transformé son univers avec son humeur enjouée et sa soif de liberté. Ils étaient à la fois semblables dans leurs idéaux, et si différents dans leurs caractères. Ensemble, ils se complétaient et se rendaient heureux.
Mais Liam n’était pas prêt à briser les interdits de sa morale et de son éducation. Il était enfermé dans une culture qui l’étouffait, et, même s’il souhaitait la liberté pour tous, il n’avait pas la force de s’affranchir.
— Je ne peux pas…
Keanu se releva. Il ne voulait pas le brusquer, le culpabiliser. Il savait que ce qu’il vivait était effroyable.
— Je vais quitter la Capitale Liam, lui dit-il avec tristesse. Ça n’a rien à voir avec toi et moi tu le sais, mais c’est mieux comme ça. Je vais aller chercher Yilmaz, Mahal et Zola à la périphérie. J’ai besoin d’yeux un peu partout dans les rues. Tout va bientôt changer. J’espère que tu comprendras à ce moment-là que je ne t’ai pas menti. Garde les deux démons du Sénat sous contrôle pendant mon absence, et protège Ana.
Il se préparait à partir quand Liam le rappela.
— Tu ne peux pas aller jusqu’à la périphérie pendant la longue nuit, les routes ne sont pas sûres.
Keanu le regarda en souriant.
— Je suis un enfant de la boue Liam. Je suis né dans les ténèbres, j’ai grandi dans l’obscurité, et je vis dans l’ombre. Je n’ai pas peur du noir.
Il lui fit un clin d’œil.
— Salut Darcy, lâcha-t-il avant de disparaître.
Liam le laissa s’en aller le cœur lourd.
Il avait mal, mais il savait que c’était mieux ainsi. Il n’y avait pas d’avenir pour eux. Même après la fin de ce monde abject, il n’était pas sûr de pouvoir s’abandonner à ce qu’on lui avait toujours interdit.
Il se leva pour admirer les lumières de la ville par la fenêtre. C’était si beau, si calme.
Bientôt, tout allait s’embraser. Il aurait tant aimé avoir la force de briser ses propres chaînes et d’être celui qu’il était vraiment. Un homme qui aimait la justice, la vérité, la liberté… et les hommes.
[1] Personnage qui ne s’ouvre pas à ses sentiments. « Orgueil et Préjugés » Jane Austen